Tuesday, March 13, 2007

ROBAIYAT

Omar Khayyam

Poète et Astronome du XIème Siècle


Boire du vin, prendre du bon temps, voici ma règle.

Ne pas me préoccuper ni de créance, ni de croyance, voilà ma religion.

À cette fiancée qu'est le monde, j'ai dit : "Que veux-tu pour douaire ?"

Elle m'a répondu : "La tranquillité de ton cœur."

Tout le monde sait que je n'ai jamais murmuré la moindre prière. Tout le monde sait que je n'ai jamais essayé de dissimuler mes défauts. J'ignore s'il existe une Justice et une Miséricorde ... Cependant, j'ai confiance, car j'ai toujours été sincère.

Je ne me préoccupe de savoir si nous avons un Maître et ce qu'il fera de moi. (M’enivrer est mon souci et mon grand plaisir).

Toi qui me lis, considère avec indulgence les hommes qui s'enivrent. Dis-toi que tu as des défauts, toi aussi.

(Si tu es un sage) fais en sorte que ton prochain n'ait pas à souffrir de ta sagesse. Ne t'abandonne jamais à la colère. Et, si tu veux t'acheminer vers la paix définitive, souris au Destin qui te frappe. Et, domine-toi : ne frappe personne.

"Pensées Profondes"

Le vaste monde est un grain de poussière dans l'espace. Toute la science des hommes: des mots. Les peuples, les bêtes et les fleurs des sept continents: des ombres. Le résultat de notre perpétuelle méditation : un grand zéro.

Au-delà de la Terre, au-delà de l'Infini, je cherchais à voir le Ciel et l'Enfer. Une voix m'a dit, solennelle, ne cherche pas : "Le Ciel et l'Enfer sont en toi."

Oublie que tu devais être récompensé hier et que tu ne l'as pas été. Sois heureux ! Ne regrette rien. N'attends rien. Ce qui doit t'arriver est écrit dans le Grand Livre que feuillette au hasard, le vent de l'Éternité.

Ô cœur, puisqu’en ce Monde, au fond, tout est chimère,
Pourquoi tant de soucis devant ce long calvaire ?

Tu appréhendes ce qui peut t'arriver demain ? Sois confiant, autrement l'infortune pourra justifier tes craintes. Ne t'attache à rien pour en savoir plus long, ne questionne ni livres, (ni cartes), ni gens. Notre destinée est insondable.

Sais-tu, seulement, si tu pourras achever la phrase que tu vas commencer ? Demain, nous serons peut-être loin de ce caravansérail, et pareils à ceux qui ont disparu, il y a sept mille ans. Alors …

Amuse-toi ! D’avance on régla ton destin
En marquant pour tes vœux, un mépris souverain.
Vis donc joyeux ! Hier, sans que tu le demandes,
On a déjà fixé tes actes de demain.

Ma chevelure est blanche. J'ai soixante-dix ans.
Tu as déjà trop attendu, réagis ! Saisis l'occasion d'être heureux aujourd'hui, car tu n'en auras peut-être plus la force, demain.

Qu’est-ce donc que ce Monde ? Un Séjour Provisoire
Où sans cesse le jour succède à la nuit noire.
C’est nous qui contemplons aujourd’hui ces verdures;
Ah! Qui contemplera sur nos tombes les fleurs ?

Le vent du Sud a flétri la rose dont le rossignol chantait les louanges. Faut-il pleurer sur la rose, ou sur nous ? Quand la Mort aura flétri nos joues, d'autres roses s'épanouiront.

Pénètre-toi bien de ceci: un jour, ton âme et ton corps périront, et tu seras poussé derrière le voile qui flotte entre l'univers et l'inconnaissable. En attendant, sois heureux ! Tu ne sais d'où tu viens. Tu ne sais pas où tu vas.
Nous ignorons tous deux les secrets absolus.
Ces problèmes jamais ne seront résolus.
Il est bien question de nous derrière un voile;
Mais quand il tombera, nous n’existerons plus.

Admettons que tu aies résolu l'énigme de la création. Quel est ton destin ?
Admettons que tu aies pu dépouiller la Vérité de toutes ses robes. Quel est ton destin ?
Admettons que tu aies vécu cent ans, heureux, et que tu vives cent ans encore. Quel est ton destin ?

Comme une boule, au gré de la Fatalité,
Roule à droite et tais-toi, quoique à gauche jeté,
Pauvre homme, car celui qui t’amène en ce Monde,
Lui seul, Lui seul, Lui seul connaît la vérité !

Conviction et doute, erreur et vérité, ce ne sont que des mots aussi vides qu'une bulle d'air —qu’irisée, ou terne— est l'image de la vie.
Il faut aimer ! Qu'il est vil ce cœur qui ne sait pas aimer, qui ne peut s'enivrer d'amour ! Si tu n'aimes pas, comment peux-tu apprécier l'aveuglante lumière du soleil et la douce clarté de la lune ?

Si, comme Dieu, j’avais en main le Firmament,
Je le démolirais sans doute promptement,
Pour bâtir à sa place, enfin, un nouveau Monde,
Où, pour les braves gens, tout viendrait aisément.

Les sages et les savants les plus illustres ont, de toujours, cheminé dans les ténèbres de l'ignorance. Pourtant, c’étaient les flambeaux de leur époque.

Qu'ont-ils fait ? Ils ont prononcé quelques phrases confuses et se sont à jamais endormis.

Nous amusons le Ciel, pauvres marionnettes !
(Sans nulle métaphore … oh, les choses sont nettes !)
Un à un nous rentrons au coffre du Néant,
Après avoir joué, sur Terre, nos saynètes.

Je me demande ce que je possède vraiment. Je me demande ce qui subsistera de moi. Notre vie est brève comme un incendie. Flammes que le passant oublie, cendres que le vent disperse: un homme a vécu.

Il y a longtemps que ma jeunesse est allée rejoindre tout ce qui est mort. Ô printemps de ma vie, tu es là maintenant, où sont les temps passés. Tu es parti sans que je m'en aperçoive, tu es parti comme s'évanouit l’éphémère douceur du printemps.

Le livre des beaux jours, hélas finit trop vite.
Déjà le doux printemps d’allégresse nous quitte.
Cet oiseau de gaîté dont Jeunesse est le nom,
Je ne sais quand il vint, ni quand il prit la fuite.

On parle du Créateur... Il n'aurait formé les êtres que pour les détruire ! Parce qu'ils sont laids ? Qui en est responsable ? —Parce qu'ils sont beaux? … Je ne comprends plus ...

Seigneur, tu as placé mille pièges invisibles sur la route que nous suivons, et tu as dit: "Malheur à ceux qui ne les éviteront pas !" Tu vois tout, tu sais tout. Rien n'arrive sans ta permission. Sommes-nous responsables de nos fautes ? Peux-tu me reprocher ma révolte ?

Après avoir sculpté les êtres, mains divines,
Pourquoi brisez-vous donc ces pauvres figurines ?
Vous les avez crées. Pourquoi donc les casser ?
Est-ce leur faute enfin de n’être pas assez fines ?

Sommeil sur la terre. Sommeil sous la terre. Sur terre, sous terre, des corps étendus. Néant partout. Désert du néant. Des hommes arrivent. D'autres hommes s'en vont.

Ma naissance, à l'univers n'apporta le moindre profit. Ma mort ne diminuera ni de son immensité, ni de sa splendeur. Jamais personne ne m'expliqua pourquoi je suis venu, pourquoi je partirai.

Ils sont passés les jours d’une existence vaine,
Comme l’eau du ruisseau, comme un vent sur la plaine,
Un jour est déjà loin, l’autre n’est pas encore,
Pour ce double néant pourquoi me mettre en peine?

Pour le sage: la tristesse et la joie; le bien et le mal se ressemblent. Pour le sage, tout ce qui a un commencement, a une fin. Alors, demande-toi si tu as raison de te réjouir du bonheur qui t'arrive, ou de te désoler d’un malheur inattendu.

Le bien et le mal se disputent l'avantage. Le Ciel n'est responsable ni du bonheur, ni du malheur que le destin nous apporte. Ne remercie jamais le Ciel et ne l'accuse pas ... Il est aussi indifférent à tes joies qu’à tes peines.

Ni les actes —mauvais ou bons— du genre humain,
Ni le bien, ni le mal que nous fait le Destin,
Ne nous viennent du Ciel, car le Ciel est lui-même
Plus impuissant que nous à trouver son chemin.

Écoute ce que la Sagesse te répète sans cesse: "La vie est brève. Tu n’es pas comme les plantes qui repoussent après être coupées."

Tu sais que tu n'as aucun pouvoir sur ta destinée. Pourquoi l'incertitude du lendemain te cause-t-elle de l'anxiété ? Si tu es un sage, profite du moment actuel. L'avenir ? Qui sait ce qu’il t'apportera ?

Hier est déjà loin; à quoi bon y penser ?
Demain n’est pas venu; pourquoi gémir d’avance ?
Laisse ce qui n’est plus ou qui n’est pas encore;
À l’instant même prends ta part de jouissance !

Cette voûte céleste sous laquelle nous errons est semblable à une lanterne magique dont le soleil est la lampe. Le monde en est le rideau où passent nos images.

Puisque c’est notre sort, de souffrir et de mourir; ne devrions-nous pas souhaiter de rendre, le plus tôt possible, à la terre notre misérable corps ? Et notre âme, qu'Allah (le Christ) attend —dites-vous— pour juger d’après ses mérites ?
À ce propos et à moins d’être instruit par quelque revenant, n’attendez de moi, ni de personne: d’honnête réponse.

Vidant avidement la cruche, j’ai tenté
D’apprendre les secrets de la longévité.
Et la cruche m’a dit : Bois donc du vin sans cesse.
Nul ne revient au Monde après l’avoir quitté.

Voici la seule vérité. Des jeux d'échecs joués par Allah (Dieu Le Père), nous sommes les pions. Il nous déplace, nous arrête, nous pousse, puis nous lance, un à un, dans la boîte du néant.

Tous les hommes voudraient suivre la route de la Connaissance. Cette route, les uns la cherchent, d'autres affirment l’avoir trouvée. Mais, un jour, une voix criera probablement: "Il n'y a ni route, ni sentier !"

Le ciel à mon oreille a dit, en grand secret :
Ne m’impute donc pas ce que le Destin fait.
Si, dans mon tournoiement, j’avais un mot à dire,
Mon tour de vagabond serait-il ce qu’il est ?

Homme, puisque ce monde est un mirage, pourquoi désespères-tu, pourquoi penses-tu sans cesse à la misère de ta condition ? Abandonne ton âme à la fantaisie des heures. Ta destinée est écrite; aucune rature n’y est permise.

Seigneur, Ô Seigneur, réponds-nous ! Tu nous as donné des yeux et tu as permis que la beauté de tes créatures nous éblouisse ... Tu nous as donné la faculté d'être heureux et, en outre, tu voudrais que nous renoncions à jouir des biens de ce monde ? Rends Toi compte, Seigneur, comme c’est insensé !
D’aucuns cherchent en vain à définir la Foi,
Et d’autres, pris de doute, ont l’âme en désarroi,
Mais soudain va surgir un messager céleste
Disant : Pourquoi ces deux fausses routes, pourquoi ?

Tu ne sauras jamais rien, pauvre homme. Tu n'élucideras jamais un seul des grands mystères. Puisque les religions te promettent le Paradis, aie soin de te créer un Paradis sur cette Terre, car probablement, l'autre n'existe pas.

"Le bruit des tambours ne plait qu'à distance ..." Agis sur des certitudes; repousse les promesses !

Pour moi, le Paradis, c'est un instant de paix.

Si toi, tu veux aussi connaître la paix, la sérénité, (c’est simple : Alors qu’ils sont en toi, ne cherche pas ailleurs le Ciel et l'Enfer), dirige un regard sur les déshérités de la vie, sur les humbles qui gémissent dans l'infortune. Cela te rendra heureux de ta condition (et en paix avec ta conscience).

No comments: